témoignage sur la rafle à Menilmontant, Paris, France, le 7 mai, #Presidentielle2017
Audio With External Links Item Preview
Share or Embed This Item
témoignage sur la rafle à Menilmontant, Paris, France, le 7 mai, #Presidentielle2017
- by
- karacole
- Publication date
- 2017-05-09
(Appel aux consciences et aux bonnes volontés qui se croient encore en démocratie...)
Ceux qui me connaissent et me suivent un peu savent que je n’en suis pas à mon 1er gazage ni à ma première charge de CRS. Depuis NuitDebout, on peut dire que j’en ai essuyé quelques unes. Quelques centaines même. Mais ce que j’ai vu ce soir dépasse tout ce que j’ai pu voir ou même imaginer possible. Je ne suis même pas sûre de parvenir à le raconter avec des mots. Mais je vais essayer.
J'en profite pour remercier Rémi que je ne connaissais pas - et qui vit a quelques mètres du Saint Sauveur - de m’avoir sortie de là ce sans quoi je ne serais peut-être pas chez moi pour pouvoir écrire ce texte. Je n’ai même pas eu le courage de filmer tant la scène était violente, surnaturelle. Lâche et chanceuse donc.
Pardon par avance pour les longueurs, mais quelques phrases n’y suffiraient pas. Je vais donc essayer de raconter ici ce qui restera pour moi les funérailles de mes illusions. Pas pour craner sur Facebook, puisque je me fais plutôt lyncher en général, mais parce que ça nous concerne tous.
-
Il est bientôt 4h du matin et je viens de rentrer chez moi. Non, je n’ai pas passé ma soirée à fêter la victoire de Macron, évidemment que non, comme ceux qui connaissent ma position sur le sujet s’en doutent. Je n’ai pas non plus été noyer ma rage dans un bar de mon quartier, mais j’étais en route pour le faire quand je rejoignais un ami ce soir à quelques centaines de mètres de chez moi, au métro Ménilmontant, vers 20h30.
Ca faisait déjà quelques heures que j’entendais les sirènes défiler en bas de chez moi. « Plus que lors des attaques du Bataclan », me suis-je dit, puisque j’étais déjà sur le trajet. J’observais le défilé par la fenêtre et les véhicules lourds par dizaines, et si je n’avais pas connu la Loi Travail et ses manifestations, je nous aurais soudainement cru en temps de guerre. Marine le Pen aurait-elle finalement gagné malgré les estimations ?
Dès la sortie de mon immeuble, je réalise que le ballet ne fait pas que défiler. Les camions forment des lignes de plusieurs centaines de mètres jusqu’au delà du Metro Ménilmontant. Il y en avait bien plus que pour NuitDebout, quand nous étions 4000 quotidiennement, bien plus qu’autour de l’Odéon quand il y avait eu une occupation du bâtiment. Clairement, où que mon regard se pose, il y a des camions. Au niveau de la rue St Sauveur, la ruelle étroite et peu profonde est bloquée par une douzaine de camions de CRS venant s’ajouter à la trentaine déjà comptée jusque là. Partout où mon regard se pose, des RG, la BAC, de la Police Nationale, des, CRS, de la Gendarmerie… La présence policière est impressionnante, même pour moi. Je savais que quelques dizaines d’antifascistes et de manifestants devaient peut-être se rejoindre dans le coin, mais quand même. On est à peu près à un camion par manifestant visible. Et les camions ne sont pas vides. Artillerie lourde. J’aurais cru à un attentat en cours avec prise d’otages, mais non. Juste une démonstration de force disproportionnée.
Je vous entends d’ici : « Quoi qu’il soit arrivé, ils le méritent. Et ca ne m’arrivera jamais à moi. Ils allaient tout casser dans le 20e ! ». Si c’était si simple…
Laissez moi vous dire ceci : pour la 1ere fois depuis des mois je choisis ce soir de partager ce post à mes amis seulement et pas en profil public (MAJ: j'ai finalement décidé de le rendre public), donc vous me connaissez tous, plus ou moins. Et vous savez que des prises de position impopulaires, j’en ai eu quelques unes ces dernières semaines. Ce n’est donc pas l’opinion qui m’inquiète. Mais je me dois de raconter ça quand même. Pourquoi ? Pour faire 12 likes ? Il est déjà 5h et j’adorerais dormir, croyez moi. Surtout que si je suis une chieuse avérée, je ne suis sans doute pas la personne la plus violente que vous ayez rencontrée. Je ne me suis pas battue depuis le CM2 et, de mémoire, je suis partie en pleurant. Alors pourquoi défendrais-je les Antifa ? Pourquoi essuierais-je les feux et les jugements si je n’étais pas définitivement convaincue de l’immense danger que l’on court et du fait que les Antifa soient parmi les seuls qui nous en protègent ?
Petit rappel. Ca rentrera peut-être à force de le dire encore et encore et encore, mais les Antifas ne s’en prennent pas à des échoppes d’épiciers du 20e, à des particuliers et à des vendeurs de fallafels. Ils ont plutôt tendance à les protéger, comme ils vous protègeront et vous soigneront en manif, qu’ils vous connaissent ou pas, que vous les souteniez ou pas. Ils se dressent face au totalitarisme sous toutes ses formes, oui, dont le capitalisme et son omniprésence tentaculaire, indissociable du fascisme qu’il engendre. On l’aura, je l’espère, compris grâce à ce 2nd tour. Leurs méthodes sont parfois contestables, certes, mais ils ne sont pas ce que l’on veut que vous pensiez d’eux.
Ils (et elles, puisqu’elles sont nombreuses) combattent donc le capitalisme mais aussi le fascisme pur, idéologique, en affrontant leurs milices d’extrême droite que la police protège, en meeting ou en rassemblement par exemple. Certains penseront que c’est parce qu’on est en « démocratie». D’autres savent que c’est aussi parce que plus d’un policier sur deux vote FN (j’inclue les CRS et gendarmes), que ça vous plaise ou non. C’est un fait, une réalité vérifiable. Ils ne s’en cachent même plus. Certains se rappelleront de la seule fois où NuitDebout à été exclue de force une journée entière de la Place de la République l’année dernière, pour une manifestation d’Alliance (principal syndicat policier très très très à droite) lourdement encadrée, où Gilbert Collard et Marion Marechal LePen étaient venus faire des selfies par centaines…
C’est cette police là que les Antifa et NuitDebout ont affrontée l’année dernière, chaque jour, et depuis. C’est cette Police là qui va dans les cités nettoyer au Karsher sous Sarkozy et depuis, tuant Zyed et Bouna, ou violant Théo. C’est cette Police là qui va à Notre Dame des Landes ou à Sivens, attaquer de dangereux écologistes, poussant la violence des échanges jusqu’à la mort de Remi Fraisse. C’est cette police là qu’ils nous envoient en manif et qui se rejouit de « casser du gaucho ». Et cette Police là officie sous un état d’urgence voté pour 3 mois et en place depuis un an et demi, permettant toute intervention, garde à vue, arrestation ou assignation à résidence sans contrôle du judiciaire. On estime à 80% les assignations à résidence, fichages ou interpellations en lien avec des activistes écologistes ou de gauche, pour 20% de suspicion de terrorisme islamique en lien avec un attentat. Sous un gouvernement encore dit de gauche. Vous comprenez qu’on en rie. Et vous nous concèderez qu’on a vachement d’humour…
Je ne peux pas recenser les centaines de témoignages lus, entendus, et les abus innombrables dont j’ai été le témoin direct. De simples mots crus à des regards glaçants, de défoulage légal à l’aveugle à l’ivresse du pouvoir, je vous jure qu’ils sont en roues libres mais je le sais depuis longtemps. Le niveau de gaz atteint lundi était sans précèdent, gaz lancé au hasard, dans les passants, dans les cortèges de syndicats, gaz d’ailleurs interdit par la convention de Genève en temps de guerre mais que l’on s’autorise sur sa population. En même temps, on le fabrique, alors autant s’en servir et en faire la démonstration pour l’export. Et on les tire à hauteur de tête et non aux pieds, pour faire des blessés. Et ce depuis la loi Travail. Même chose pour les grenades de désencerclement qui ont couté un œil à plusieurs personnes, habillées en noir ou pas, et même chose pour les flash-ball. D’ailleurs, suite à lundi, Aliance a fait un communiqué disant qu’ils ne pouvaient pas se défendre puisqu’ils ne peuvent pas utiliser les flash-ball alors qu’on a jamais vu autant de tirs. Les armes que vous voyez, à large canon, dans toutes les vidéos que je partage sont des flash-ball. Pourquoi les avoir en joue si ils ne s’en servent pas ? Les photos de plaies et les balles ramassées se trouvent partout sur le net. Cherchez.
Je comprends la difficulté qu’il y a à admettre
cette réalité. Je le comprends parce qu’un monde dans lequel on ne peut
plus avoir confiance en son gouvernement et en sa police est un monde
qui s’écroule, et que le réaliser c’est voir toutes ses certitudes
s’effondrer et sentir le sol s’effriter sous ses pieds. Je sais. Je le
sais parce que je suis passée par là.
Moi non plus je n’y croyais
pas avant de le voir de mes yeux. J’avais eu des potes flics, de la Bac
même, et je refusais ce « tous pourris ». Il y en a forcement « des bien
». Oui, pour boire un coup, pour être le parrain de votre enfant même,
et passer des dimanche à la campagne, certes. Mais pas sur le terrain.
Sur le terrain, personne n’est bien. Parce qu’on envoie en première
ligne sont ceux qui y prennent du plaisir, et que les autres finissent
par suivre le groupe, comme le font souvent les autres citoyens. Parce
que ceux qui ne dérapent pas observent et se taisent sans intervenir,
parce qu’ils vivent et bossent au quotidien avec les autres. Ils font
comme beaucoup d’entre vous, ils vivent comme ils peuvent et ne veulent
pas se démarquer, s’offusquer, être dans la minorité qui s’indigne pour
que ça se retourne contre eux. Surtout que la délation, chez les flics,
ça vous poursuit partout jusqu’à la fin de votre carrière. Et je ne
parle même pas des gendarmes (militaires) chez qui ce serait un suicide
assuré. Sauf qu’ils sont payés pour nous protéger, sont armés pour le
faire, n’ont plus de garde fou judiciaire et que le niveau de violence
atteint aujourd’hui un seuil de dangerosité hallucinament explosif,
parfaitement illégal et absolument illégitime.
Alors oui, les
Antifa se dressent face à la Police, sans distinction, malgré les débats
internes sur les accidents comme celui de lundi ou l’utilisation de
trucs inflammables puisque évidemment il n’y a pas de chef et que ce
n’est évidemment pas un consensus collégial, ce sans quoi les dégâts ne
seraient pas dans les mêmes proportions. Du tout. Certains antifas
pensent encore que tous les flics ne se valent pas, sincèrement, mais
c’est dur d’y croire encore après tant de violences subies. D’autres
diront que ceux qui ne font pas consentent, que tous ont choisi un
métier où depuis plus de deux ans au moins, ils attaquent une population
qui les paye, qu’ils sont censés protéger et qui réclame des droits
pour tous, eux et leurs familles inclus. Et que loin de démissionner par
indignation ou de parler du problème, ils s’emploient à nous voir
blessés ou mis en danger jour après jour, se conformant aux plus
virulents. Vous resteriez CRS vous, à taper sur des gamins et à gazer
des enfants et des personnes âgées ? Et vous tiendrez combien de temps
face à ça sans leur vouloir au moins le mal qu’ils vous font ? A le
subir ou à voir vos proches, amis, familles, enfants, blessés, gazés,
matraqués, traqués, poursuivis, empêchés de travailler ou de se déplacer
? Combien de temps avant de vouloir au moins de temps en temps en venir
aux mains? Une manif? Deux? Dix? Cent? A moins que vous ne renonciez à
manifester pour leur donner raison. C’est ça la solution? On renonce. On
arrête. On laisse faire?
Où est la sortie?
Beaucoup d’actuels Antifa, au début, étaient des militants qui faisaient tampon. Aguerris lors du CPE, à NuitDebout et pendant les manifestations, ils étaient ceux qui s’interposaient entre les flics (CRS, gendarmes, etc) et les manifestants pour protéger les nouveaux. Ils jouaient aussi le rôle de Street Medic (médecins de manif) puisqu’on a beaucoup de blessés depuis le debut, militants ou pas (dont tout le monde se fout, d’ailleurs). Il a bien fallu étouffer ce mouvement social, histoire de ne pas prendre le risque qu’il ne réunisse trop de monde. Certains faisaient aussi partie de la Commission Sérénité qui désamorçait de façon souvent surhumainement diplomatique les accrocs en tous genre que ce tupe de rassemblement peut générer puisque contre toute attente, nous avions des centaines de flics en permanence avec nous mais pas un pour nous aider contre les Soraliens ou les milices d’extrême droite comme le GUD. Certains autres étaient dans les Commissions AntiPub et redécoraient les affiches publicitaires en ouvrant les abri-bus (sans les casser, au debut) mais rien de bien méchant. Puis on s’est fait attaquer, encore, et encore, et encore. Et il y a eu un jour où certains ont refusé de reculer d’un centimètre de plus et de baisser la tête à nouveau, ont refusé de céder à la peur qu’on tentait de nous imposer. Et parce qu’ils ont bien vu que le dialogue était impossible, avec ou sans fleurs, chansons, invitations à nous rejoindre ou toute autre tentative d’évitement de cet affrontement répété. Ils ont fait face à la démonstration de force permanente comme un gosse frappé par son père se lève un jour pour lui dire « Frappe, frappe encore. Vas-y ! Frappe jusqu’à ce que je n’ais plus mal. J’ai plus peur de toi, et même si tu me pète tous les os du corps, je te regarderai dans les yeux ». Debout…
J’en suis incapable, je n’ai pas ce courage, mais je le ressens. Je le lis dans leurs yeux, mec ou meuf, à 17 ou 30 ans, ce même regard, cette même défiance, ce même refus. Ce même aguerrissement mêlé à une compréhension très pointue des enjeux politiques et économiques de notre époque, de la problématique de l’œuf et de la poule entre capitalisme et montée du fascisme, et une conscience des délais que l’on a pour y mettre fin si l’on veut avoir une chance de sauver nos sols, notre alimentation, notre air et nos océans. Et c’est pour ça que ça me fait si mal qu’on les estime si peu. Parce qu’ils sont les seuls à avoir ces « couilles » là, quoi qu’on en pense. Parce que ni vous ni moi ne le feront jamais, parce qu’ils sont les seuls qui se seraient dressés physiquement contre un régime LePen qui les aurait sans doute tués avant de les inculper et qu’ils ont quand même eu le courage de voter blanc ou de s’abstenir pour le message nécessaire. Et on les décime…
Retour à ma soirée.
Vous aurez maintenant compris que Ils venaient surtout à Ménilmontant
pour rappeler à tous que le combat continue, que le danger n’était pas
Marine LePen seulement, et que tous ceux qui ont professé allègrement
sur les réseaux sociaux qu’il fallait voter et qu’on combattrait Macron
ensuite étaient invités à honorer leurs promesses dès demain (tout à
l’heure, vu l’heure) pour la manifestation du Front Social. Ce n’est pas
dans le 20e qu’on casse des enseignes de luxe, qu’on trouve ça légitime
ou pas.
Je rejoins mon pote, on fait quelques bises et apprends qu’il y a eu à l’heure des résultats une descente dans le bar le St Sauveur, situé dans la ruelle qui débordait tout à l’heure de camions de CRS et dont l’entrée est gardée par des dizaines de flics équipés en anti émeute. Pas mal de gens sont bloqués à l’intérieur, dont des amis d’amis, mais pas de réaction vive malgré l’attaque directe et l’aberrante démonstration de force faite par la somme des véhicules présents. Surtout vu la taille du St Sauveur. Je ne le savais pas encore, mais on y case 40 personnes anorexiques en tassant un peu. Allez, 70 avec le trottoir, sincèrement. Il ne manquait que les chars et les hélicoptères. Pour 80 personnes qui manifestent calmement et 50 autres dans un bar. Passons.
On se joint au groupe assez hétéroclite qui marche calmement vers Père Lachaise en chantant quelques trucs. Pas un policier pour nous interpeller. On avance. A Père Lachaise on bifurque sur Gambetta pour remonter vers la place Martin Nadaud. Le groupe se disloque déjà. Certains prennent des ruelles. On monte mais certains se demandent ce qu’on fout là à 50 et rebroussent chemin. Nous aussi franchement, on se demande. Arrivés là haut, on doit être un groupe de 10 max quand deux voitures de police foncent sur nous à toute allure et nous tirent deux décharges de gaz lacrymogène à haureur de tête de moins de 5 mètres, en pleine rue, sans question ni sommation. On a du se faire repérer à cause du cône qui servait de tam tam. Très dangereux les cônes. Sachant qu’il y a 7 palets par tir, on avait plus d’un nuage par personne. Comme quoi, c’est pas la crise pour tout le monde. Ils repartent aussitôt laissant un épais nuage qui fera que les automobilistes qui passaient par là ont paniqué. J’ai failli me faire renverser par une bagnole en sortant du nuage. Normal, Ni moi ni le conducteur n’y voyons quoi que ce soit. Moi j’ai l’habitude, mais quelques gamins zélés du quartier ont voulu nous rejoindre et se sont mis à pleurer à 15m de l’épicentre. En général, la première fois, on vomit. La deuxième aussi.
On redescend sur le boulevard et on finit par se refugier dans un café en attendant le dénouement du Saint Sauveur pour savoir ce qui va arriver aux copains. Il est déjà 22h30-23h. Dehors, certains autres se regroupent à une cinquantaine calmement mais déjà les gaz pleuvent. Grenade désencerclante au carrefour Oberkampf pour les rabattre sur Couronnes où des interpellations à l’aveugle auront lieu. On embarque. Les bus et les camions se remplissent. Dans la panique et les gaz lancés en pleine circulation, un 4x4 (MAJ: possible véhicule de police banalisé) fauchera une manifestante et fera un délit de fuite. Pas un flic pour l’arrêter malgré les 500 présents. Il faut dire que ça en fait une de moins...
Dans le café, des touristes américaines hallucinent. FoxNews avait raison…
On finit par sortir du bar vers 0h30. Toujours autant de camions et les bus d’interpellations massives se mettent en place. Ca sent la rafle. On apprendra plus tard qu’ils ont chopé tout le monde : les clients du bar à l’intérieur (qui sont encore bloqués dedans presque 4h après l’intervention) et tous ceux qui étaient sur le trottoir devant. Forcement, ça commence à monter. Les camions se remplissent enfin. Des groupes se forment à distance pour tenter d’apprendre quelque chose et s’autoriser à gueuler deux ou trois insultes. Une ou deux bouteilles de bière ont du voler, ok, sur le passage des camions. Sinon ça gueule, oui, mais rien de plus. Je filme. Dans la minute de nouveaux camions débarquent, ouvrent les portières et des dizaines de CRS en descendent, gazeuses à la main (sans tir, par pulvérisation. Les pires) : 2e gazage, massif, a bout portant. Les 30 personnes présentes (passants, jeunes manifestants, tout le monde) courent dans tous les sens. Je me refugie derrière une voiture, mon téléphone filmant toujours, mais cernée par 30 CRS, je peine à cadrer à bout de bras. Trop con parce que j’aurais vraiment voulu vous le montrer. Je sais que je me ferai frapper ou casser mon téléphone si ils le voient alors je fais pas la maline. Il s sont très en forme, ça se sent. Ils m’évitent parce que dans ma lâcheté je dis ne rien avoir à faire avec ça - et que j’ai une gueule et un look à voter pour Macron, à mon grand désespoir - mais à deux mètres, en face, ils sont à 7 sur 1, gaz et matraques. Les mecs à terre se font défoncer. « Vas-y chope le ! Prends ça connard ! ». Ils se défoulent et repartent. On se disperse, on tousse, on soigne les yeux au serum phy, comme toujours. Mais on attend toujours les copains. Et la colère monte encore, mais on est loin de ce qui nous attend après.
Les camions sont partis avec tous les interpellés, sous les huées. La ruelle du Saint sauveur est enfin accessible. On va voir ceux qui ont pu en sortir sans finir en garde à vue, pour comprendre. Et puis on se dit qu’avec la soirée de merde qu’on a passé, et celle qu’a du passer le patron du Saint Sauveur, on pourrait faire un win win en buvant un dernier coup avant de rentrer puisqu’il est toujours ouvert. Il est 1h30. On est une vingtaine max et on rentre au Saint Sauveur. A peine la bière commandée, les camions de CRS passent devant la petite baie vitrée. Je les compte. J’arrêterai à 14. Un copain me fait sortir de là. On se met à l’écart dehors. Les CRS sortent tous des camions et se mettent en ligne en position dans la ruelle. Devant eux, les clients du bar qui fument, les passants qui rentrent chez eux, et nous. Forcement, après les gazages, les tabassages, le mec à l’hosto et les arrestations, ça monte côté manifestants, même à 20. Depuis les fenêtres au dessus, quelques voisins excédés depuis 20h envoient des trucs sur les camions aussi. Si seulement mes yeux avaient pu filmer ce qui a suivi. Je n’ai même pas pensé à sortir mon téléphone. C’était impossible. Dans un cri de guerre, sans prévenir, je vois foncer sur nous ces dizaines de CRS qui se mettent à taper dans le tas, la bave aux lèvres. Des hooligans. Je jure que je n’avais jamais vu ça, même en manif, même lundi. On n’avait jamais vu ça. Personne. Ca gueulait partout. Meuf, mec, pas de distinction. Je cherche un autre terme mais je n’en trouve pas : c’était une ratonnade. « Défonce-le ! Lui aussi ». A 5 ou 7 sur 1, quand on en finit un on en chope un autre. Open bar. J’ai du bol encore, j’ai réussi à m’échapper dans un coin tandis qu’ils tabassaient à 5 un pauvre sdf bourré qui cuvait son vin à côté du bar. Un défouloir, voilà ce que c’était. Puis, après d’interminables minutes, ça siffle le repli. Ils se rapprochent des camions, enfin. Et là tout le monde est en rage. Des gens à terre partout, le patron du bar qui vient s’interposer mais aussi des filles qui font barrage de leur corps à 4 en ligne, en se tenant les mains pour arrêter la surenchère.
C’est vrai qu’on le pensait tous mais un seul a osé le dire : « Vous avez les boules qu’elle ait perdu, c’est ça l’histoire, hein ?». Je parlais avec Rémi, un voisin, qui était descendu dans l’intervalle. C’est lui qui a vu les filles se prendre les premiers coups de matraque avant qu’ils ne foncent à nouveau sur nous. Il aura juste le temps de nous cacher dans son hall d’immeuble avant que ça recommence. Il hallucinait. On hallucinait. On n’a même pas osé allumer la lumière de l’immeuble, on a fait le tour du bâtiment pour ressortir et voir les blessés non embarqués partir en boitant ou se faire soigner avec ce qu’on avait à même le trottoir. Je n’avais JAMAIS vu un défoulement si décomplexé et une telle ivresse de violence indifférenciée adressée à des civils en tous genres, même lors de manifestations violentes ou de mouvements sociaux. Tout ce qui bougeait était une cible. Tout le monde. Sans que personne ne s’interpose. Ca monte et je vous le dit, ça n’est pas fini. Ca commence.
L’élection de Macron va provoquer des mouvements sociaux, on le sait,
tôt ou tard. Et cette violence continuera tant que l’opinion publique ne
s’indignera pas. Et il faut qu’elle cesse, il faut les stopper parce
que c’est comme ça que démarre une guerre civile : grâce à de la colère,
de la fatigue, des violences policières répétées et de l’impunité.
Aucun policier n’a jamais été condamné pour aucune blessure infligée à
aucun manifestant. Ni aucun mort.
Ca monte. Et ceux qui sont arrêtés
ressortent plus en colère que jamais, et la course à l’armement se fera
coté police grâce à l’opinion publique, et on n’en sortira pas.
La seule chose qui peut arrêter cela c’est du monde qui vienne participer aux manifestations, à distance des affrontements, comme je le fais souvent, et sans y contribuer mais juste pour témoigner, voir de ses yeux, comprendre, raconter et sortir du mécanisme méchant manifestant/gentil flic qui met tout le monde en danger : manifestants, citoyens et policiers. Il faut que cela arrive vite, parce que ça dégénère. Et n'y a qu'un vrai débat public qui puisse le faire.
Alors s’il vous plait, pour moi, pour nous tous, que ceux qui sont à Paris aujourd’hui - ou en province, là où il y a un rassemblement - prennent une heure ou deux pour faire leur part et ensuite raconter autour d’eux. On doit sortir de cet entre soi stérile et de ce cercle vicieux. Je ne vois plus d’issue. On ne peux pas laisser faire, on ne peux pas se laisser frapper sans répondre jamais, et on ne peut pas renoncer à des combats légitimes pour des droits qu’on nous a pris de force ou ceux que l’on s’apprête à nous prendre bientôt. Il ne s’agit pas de prendre parti mais bien de se faire une opinion et d’en parler. C’est tout ce que je vous demande. S’il vous plait. Avant les législatives, les gens doivent savoir. Tant qu’ils ont encore quelque chose à perdre. Ensuite, j’ai peur qu’il soit trop tard…
Merci d’avoir pris le temps de me lire.
Marjorie Marramaque
- Addeddate
- 2017-05-09 13:36:04
- Identifier
- 20170507_Rafle-Menilmontant
- Scanner
- Internet Archive HTML5 Uploader 1.6.3
- Year
- 2017
comment
Reviews
215 Views
DOWNLOAD OPTIONS
IN COLLECTIONS
Community Audio Community CollectionsUploaded by karacole on